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Semer pour résister, retour sur une visite de paysans-militants de Palestine

Il y a tout juste un an, en Juin 2023, le Biaugerme recevait une délégation palestinienne  de l'UAWC (Union of Agricultural Work Committees) composée de Sana' Karajeh, Islam Neroukh, Yazan Tartir et Fuad Abusaif. Nous avons pu les accueillir avec le soutien et l'organisation du collectif paysans  47 ( Modef, confédération paysanne, CCFD...) et le comité Palestine 47.

la délégation palestinienne et des membres du Biaugerme

Tout cela a eu lieu 5 mois avant les massacres et prises d'otages commis par le Hamas, qui allait marquer un retour acharné de combats et de bombardements sur la population gazaouie, ainsi qu'une accélération des violations du droit international liées à la colonisation en Cisjordanie.[1]

L'agriculture palestinienne est, depuis les années 1960 et l'installation des premiers kibboutz, une cible de choix de l'État d'Israel. La dernière offensive en cours ne fait qu'aggraver la destruction de ce secteur notamment via l'accaparements des terres.[2]

Des membres du Biaugerme et du collectif paysan devaient rendre visite aux ami.es de l'UAWC en Cisjordanie cet automne, afin de visiter la banque de semences locales, d'observer leurs pratiques culturales et afin de les soutenir dans la récolte des olives, puisque celles-ci sont souvent spoliées par l'armée d'occupation s'il n'y a pas d'observateur.ice.s « internationaux ».  A défaut de pouvoir s'y rendre, voici un petit récit de leur voyage dans le Lot et Garonne ainsi que des nouvelles peu réjouissantes. Mais avant tout, l'UAWC, c'est quoi ? 

L'Union of Agricultural Work Committees

L'UAWC  est une ONG créée en 1986 par des agronomes de Cisjordanie et de Gaza, qui a pour but de protéger et soutenir les droits des paysan.ne.s palestinien.ne.s afin de renforcer la résilience face à l'occupation et atteindre une souveraineté alimentaire. Elle est membre de la Via Campesina, une organisation internationale de défense des droits des travailleur.euse.s agricoles et des communautés rurales. L'action de l'UAWC se traduit par du soutien juridique et financier, principalement vers les familles paysannes de la zone C (zone sous contrôle total israélien) qui abrite 300 000 palestiniens menacés par l'expansion des colonies, la confiscation des terres et la destruction des bâtiments, les pollutions et détournements d'eau ou encore les confiscations de récoltes. L'UAWC met également l'accent sur l'autonomisation des femmes dans le secteur agricole et sur l'éducation à l'agroécologie. [3]

Enfin, elle mène avec des paysan.ne.s partenaires un gros travail de multiplication, conservation et diffusion des semences via la Banque de semences locales, unique en Palestine. Le stockage des semences sur ce territoire n'est pas une mince affaire. Pour éviter la perte de ces trésors de biodiversité  cultivée, l'UAWC est obligée de multiplier les sites de production et de stockage à différents  endroits stratégiques.

Visite en France

Pour nos ami.es palestinien.es cette visite avait plusieurs buts :

En premier lieu, ce voyage leur a permis d'aller à la rencontre d'institutions, notamment de rendre visite au Conseil Départemental du 47, ainsi qu'au ministère des affaires étrangères et à Jack Lang (ancien ministre de la culture, actuel président de l'Institut du Monde Arabe), pour  témoigner des traitements infligés par les colons sionistes aux paysans de Cisjordanie. Ces rencontres ont également permis à ces institutions de renouveler leur soutien (financier, humanitaire…) aux populations palestiniennes et plus particulièrement aux projets de développement agricole.

Après avoir traversé les paysages ruraux du territoire français, nos quatre camarades sont arrivé.e.s dans notre département riche d'une agriculture très diversifiée.

Nous avons tout d'abord visité le lycée agricole Etienne Restat de Ste Livrade sur Lot, afin de s'inspirer de quelques enseignements agroécologiques proposés, puisque l'UAWC prévoit d'ouvrir la première école d'agroécologie de Palestine dans les mois qui viennent. Islam, qui vient d'une grande famille d'apiculteur de la région d'Hébron, a pu partager son expérience du métier (sans protection !) auprès des habitués du rucher-école du lycée.

Nous sommes également parti.e.s à la découverte de quelques jardins Biaugerme, afin de discuter en « bord de champs » de l'irrigation en contexte de sécheresse (ou de détournement de  la ressource en eau en Palestine), des intérêts de la houe maraichère, ou encore des quelques variétés qui essaiment par delà les frontières.

Nous avons également pu leur présenter notre fonctionnement interne, de la production à la commercialisation selon notre principe de mutualisation du travail et des revenus.

Discussions techniques sur la ferme de l'Héritier du Caillou

Grâce à Simon, artisan dinandier du Lot-et-Garonne, nos ami.es sont reparti.e.s avec dans leurs valises, des « mesures »  similaires à celles que nous utilisons pour l'ensachage manuel. A leur retour en Palestine, malgré les checkpoints et les bagages pleins de semences Biaugerme, tout est arrivé à bon port pour être semé.

Et depuis nos fermes du Lot-et-Garonne, on entend encore avec émotion Yazan rêver tout haut de pouvoir, un jour, « prendre le café en contemplant mes champs dans un pays en paix », tout simplement.

Sana', Fuad, Simon, dinandier et Yazan, avec les fameuses «  mesures » pour ensacher.

L'UAWC en temps de guerre

Suite au 7 octobre, de nombreux soutiens financiers internationaux ont décidé de couper une partie des financements destinés aux ONG de Palestine. Certains ont ensuite fait marche arrière mais cela a fragilisé l'ensemble des ONG locales. L'UAWC n'a cependant pas failli malgré les difficultés financières et matérielles. A Gaza, sur les quatre bureaux que comptait l'ONG, trois ont été bombardés et le dernier abrite des familles déplacées. Dans cette situation d'urgence, une grosse partie des activités  se sont tournées vers Gaza, via diverses campagnes de soutien aux populations. L'UAWC participe aujourd'hui activement à la fourniture de colis alimentaires, de vêtements et d'eau potable à destination de Gaza.

En Cisjordanie, concernant le travail de la banque de semences, la guerre n'a évidemment pas facilité la coordination des activités. Les paysans multiplicateurs étant disséminés sur tout le territoire, il  est quasiment impossible de faire un suivi correct des cultures, les accès aux villages sous occupation étant régulièrement fermés. L'UAWC craint également que le renforcement des violences et la multiplication des avant-postes (préalables aux colonies) favorise les destructions et l'accaparement d'une partie ou de toutes les récoltes.

L'un des projets phares de nos ami.es est la création d'écoles agroécologiques en Palestine, mais la guerre oblige à reporter leur lancement.

Face aux récits et face à la volonté et au courage de ces habitant.es, nous sommes admiratif.ve.s. Le projet de leur rendre visite reste dans nos têtes, afin qu'ielles se sentent soutenu.e.s et même  reconnu.e.s par la communautée internationale et afin d'aller contre la volonté du gouvernement israélien de les isoler. En attendant, dans nos jardins en Lot-et-Garonne, nous continuerons à faire germer et fleurir radis, fèves et concombres de Palestine,  comme un bout de terrain qui résiste.

Cristina et Giorgio, de la ferme de Sezerou, devant le concombre palestinien (sous tunnel) du Biaugerme


[1] https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/israel-palestine/en-cisjordanie-l-autre-guerre-menee-a-bas-bruit-par-israel-contre-les-palestiniens_6462572.html

[2] - https://www.lemonde.fr/international/article/2024/07/05/israel-accapare-la-plus-vaste-etendue-de-terres-en-cisjordanie-depuis-trois-decennies_6247176_3210.html

- https://www.carep-paris.org/recherche/ecologie-et-politique/lagriculture-en-palestine-une-histoire-dinsecurite-alimentaire-et-de-resistance/

[3] https://uawc-pal.org/


Adèle, productrice du Biau Germe