Christian Crouzet
Dernière campagne
Dernière campagne
Cet été je n'ai pas ressemé de carottes ni repiqué de poireaux. Je n'ai pas non plus préparé la terre pour les semis et les plantations d'automne. Cette année est exceptionnelle pour moi, puisqu'elle est ma dernière campagne de production agricole avant retraite. Elle a été aussi imprévisible que les précédentes : un gel tardif au printemps menaça les navets au stade floraison très avancé. C'est en urgence qu'il a fallu réagir. Avec l'aide de Pascale, ma femme, récente retraitée, nous avons installé 500m2 de voiles de protection sur arceaux. Le vent d'ouest, très instable, entraîna vite une partie de la voilure en haut des peupliers voisins. Notre ténacité sauvera la récolte quelques semaines plus tard. Les activités agricoles sont très dépendantes du milieu naturel, dont j'ai pu constater des modifications significatives au fil du temps.
En 1997, lorsque j'ai débuté la multiplication de radis, pour réussir la récolte il fallait des filets de protection oiseaux, tant ils sont friands des graines. Aujourd'hui, hélas, ils disparaissent et nul besoin de filet. Ma ferme a été épargnée des épisodes de grêle dévastateurs, mais elle reste sous la menace du nouveau phénomène d'orages localisés très violents. Avec des étés de fortes canicules et des hivers doux ou pluvieux, il faut composer avec ce dérèglement climatique.
Dans ce contexte, la multiplication de variétés paysannes devient de plus en plus essentielle. À son origine, le Biaugerme a été initié par Sylvia Schmid pour proposer des variétés adaptées à une agriculture biologique. Pour cela, elle est allée chercher des variétés issues de pratiques locales ou de catalogues maraîchers d'avant 1914, époque où l'on pratiquait une agriculture sans chimie. C'est l'adaptabilité de ces variétés en symbiose avec le milieu naturel qui fait leur valeur. Alors que nous faisons de la sélection conservatrice, qui garantit un type de variétés déjà identifiables au siècle dernier, celles-ci impriment chaque année dans leur mémoire génétique les différents changements naturels. La capacité de résilience des semences paysannes est remarquable. Face à l'effondrement de la biodiversité et la sixième extinction des espèces, la multiplication de ces semences issues du domaine public devrait être reconnue d'utilité publique. Ce travail de sauvegarde confère au Biaugerme un statut de gardien des semences que l'on partage avec tous les jardiniers et maraîchers qui font le choix de ces variétés. Ensemble réjouissons-nous des résultats collectifs partagés.
Malgré les difficultés du métier, quelques pépins de santé occasionnés par une surcharge de travail, je conserve un sentiment de satisfaction. J'étais à ma place à l'école d'une nature implacable, mais si riche d'enseignements. La part de ce patrimoine végétal dont j'avais la charge est aujourd'hui entre les mains d'une nouvelle génération qui apporte jeunesse et enthousiasme.
Mais rien de cela n'aurait pu exister sans la clairvoyance et la passion de Sylvia Schmid qui, dès notre première rencontre, me confia tel un trésor, 60 plants de carottes rouge sang à multiplier. Elle avait su dénicher quelques graines de cette variété en voie de disparition qui, 25 ans plus tard, est largement diffusée. Mission accomplie !
Christian Crouzet